NOTRE DALLAS

Publié le par Julien


NOTRE DALLAS

Généré ou auto-créé - voilà notre question


(projet autour de l’imaginaire collectif et du mythe contemporain)









Chères personnes,
 
La compagnie continue à se créer depuis maintenant plus de quatre ans.
Les questions qui l’animent sont conjointes au travail qui se modèle, se défait et se recompose, agit et nous agit de la sorte.
 
Notre Dallas est un projet qui est le prolongement d’une démarche qui se constitue progressivement, fruit du dialogue fondamental entre "le sens" et "l’expérience", privilège de l’art vivant.
Je cherche toujours à faire le lien entre l’Intime et le Politique, l’Ancien et le Nouveau, l’Individu et l’Histoire.
Le Di@ble en Bouche est la première tentative de ce mouvement réflexif, mu par la question du « qui nous sommes ».
Pour ce nouveau projet, j’ai décidé de me passer commande et de partager mon écriture.
 
Ecrire à partir d’une matière que nous connaîtrions tous.
 
C’est ainsi qu’arriva la fameuse série télévisée : Dallas.
 
Je décrirai plus bas les raisons qui m’ont conforté quant à la pertinence de ce choix ; il s’agit néanmoins en premier lieu  d’une intuition, fruit d’une réflexion engagée depuis deux ans sur ce que Cornelius Castoriadis appelle : « l’imaginaire collectif ».
Comme nombre de gens de ma génération, je ne connaissais pas vraiment cette série, je ne l’ai (je crois) jamais regardée, mais (phénomène étrange) je connaissais parfaitement le nom des protagonistes, la musique du générique et la trame globale. Aussi mince soit-elle, Dallas occupait une place dans mon imaginaire sans que je ne l’y aie, à aucun moment, convié. C’est aussi le cas de tous les amis que j’ai interrogés et qui appartiennent à ma génération…
Je constate alors que Dallas fait partie du legs générationnel, qu’il existe en moi par transmission, fruit culturel d’un héritage collectif.
Je ne crois pas pouvoir affirmer coller un sens à cet acquis, et je soupçonne mal la série survivre aux générations suivantes, mais le phénomène est suffisamment surprenant pour qu’il mérite qu’on s’interroge.
 
Et trouver en lui matière à explorer "ce que nous partageons".
 
Venons en à l’objet, et tâchons de le projeter ensemble.
 
La question fondatrice est de savoir ce qui nous lie de manière culturelle.
Il y a bien sûr l’héritage traditionnel (plus ou moins accessible), familial, mais aussi cette monstrueuse forme de culture aux membres médiatiques communément appelée « Culture de masse ».
Il faut bien reconnaître l’importance de cette dernière qui, si elle n’a rien à voir avec le "sens commun", communitarise des personnes à échelle mondiale.
Dallas n’est qu’un exemple.
Notre pratique "à nous" repose sur un savoir-faire – une exigence ou une contrainte de transmission à échelle humaine – un laborieux artisanat qui, je pense, donne aujourd’hui au théâtre une formidable fonction politique dans une société qui glorifie à outrance l’illusoire"self made man", hybris contemporain.
Je me suis arrêté sur Dallas, car j’ai pu constater plusieurs pistes et ouvertures pour soutenir mon propos au cœur de cette série.
 
  • Il s’agit d’abord d’un phénomène social.
 
Dallas est le premier feuilleton fleuve, matrice de ses avatars qui hantent les chaînes hertziennes aux heures calibrées du goûter, du repas ou encore du repassage. Un phénomène tel qu’il a monopolisé et animé des millions de téléspectateurs, et jusqu’à nos plus hauts représentants (il est à noter, pour l’anecdote, que la reine d’Angleterre a tenté de soudoyer les scénaristes pour avoir l’exclusivité de dénouements ou que notre président François Mitterrand, adepte forcené, demandait à ne pas être dérangé pendant qu’il regardait quotidiennement sa série). Pour ceux qui auraient échappé à l’intrigue, voici un court résumé de la narration :
Les Ewing et les Barnes, deux familles texanes, exploitants de pétrole, s'affrontent à coups de mensonges, manigances et autres traquenards. Tout a commencé quand Jock Ewing, le patriarche de la famille, a volé à Digger Barnes sa fiancée et les puits de pétrole qu'ils avaient découverts ensemble. Depuis, la haine se transmet de père en fils et survit à toutes les tentatives de réconciliation. Même le mariage de Pamela Barnes et Bobby Ewing n'y fera rien, bien au contraire...
 
 
  • Une dimension social-historique.
 
La série a débuté en 1978 aux Etats-Unis (l’année de ma naissance). Chez nous elle est arrivée en 1980. Aujourd'hui, elle revient toujours régulièrement à l'antenne.
L’aspect suranné de la série nous permet à la fois de prendre le recul nécessaire avec l’objet télévisuel tout en considérant et en jouant sur les thématiques qui nous concernent encore : le frottement de la sphère privée avec la sphère publique au cœur du foyer capitaliste. Dans les années 90, cette série fut l’objet de nombreuses analyses culturelles portant notamment sur sa réception dans les pays les plus éloignés de sa sphère géographique et culturelle. Je retiens le témoignage d’une femme marocaine définissant la série comme : « l’histoire où les gens ont des problèmes », Dallas devenant ainsi à l’étranger (la France comprise) : la fenêtre par-delà laquelle on pouvait observer avec curiosité le capitalisme occidental outre-atlantique. La fenêtre s’est depuis largement ouverte et le vent s’y engouffre… 
Pour en revenir à l’aspect matriciel de la série, il est intéressant de prendre en considération son caractère inédit. S’il est évident que l’esthétique du feuilleton télé imprime un formatage misérable inévitable, cette série pionnière joue de maladresses et d’une certaine prise au corps avec l’espace mental du spectateur qui expérimente avec les producteurs de la série : les futures règles du fameux audimat dont les lois ne sont plus à définir aujourd’hui. La conséquence de cette inexpérience se traduit par des retournements scénaristiques surréalistes et incontrôlés comme la transformation d’une saison entière en "rêve de Pamela" pour justifier le retour du personnage de Bobby, mort dans la série, mais que la chute d’audimat (actionnaire virtuel) fait revenir...
Anarchie d’un scénario qui se développe au gré d’une énergie libidinale du spectateur consumériste.
Mise en abyme cathartique évidente du monde capitaliste et du rêve américain sur fond de culture texane de cow-boys aux grands chapeaux.
Ode ou critique ? La question reste ambiguë. Un journal de l’époque titra : « Nous adorons les haïr ». Il est à noter que nous suivons la narration du côté des usurpateurs – posture cynique – et que JR, le salaud, est le vrai héros de la série. Il y a dans Dallas plus de Camus que de Dumas. De là à l’inscrire dans le courant humaniste…
Erthar Jacobsen, politique danois, a par exemple affirmé que la série avait été conçue par des extrémistes de gauche pour traîner l’Amérique dans la boue.
Quoi qu’il en soit, il y a matière à nous interroger sur l’aspect politique présent dans la série aussi bien par son contexte (guerre économique et pouvoir) que par l’idéologie qu’elle évoque, et en éclaircir les symboles.
 
 
  • Mythes et valeurs
 
S'il est une valeur qui est mise en avant durant toute la série, c'est bien celle de la famille. On parle des Ewing, des Barnes et même si chaque membre de telle ou telle famille a sa propre personnalité, c'est avant tout à la famille qu'il se réfère. Comme dans les grands mythes, l’opprobre initial (du domaine privé) se transmet de manière héréditaire comme un patrimoine dont on ne peut se défaire sous la loi du Talion. On ne peut s’empêcher de penser à l’Orestie (Cliff Barnes enfilant les habits d’Egisthe, Sue Ellen de Clytemnestre, J.R, ceux d’Agamemnon…), à la figure d’Hamlet ou de quelque autre héros shakespearien. Il n’y a pas de hasard dans ce phénomène, les scénaristes s’étant inspirés aussi bien des mythes fondateurs que du "tout venant" culturel, allant jusqu’à plagier « Life is beautiful » de Capra dans le dernier épisode de la série où l’ange gardien de JR lui montre comment aurait été la vie des Ewing sans lui. Ce "fourre-tout" narratif n’est pas exploitable comme tel. Il s’agit de reconnaître les mythes derrière leurs fantômes et de les ré-investir du sens dont ils ont été éteints. L’objectif serait ainsi de corroder la dimension symbolique du produit pour en faire jaillir le sens et le transcender malgré lui. De la même manière que les scénaristes de cette série ont emprunté les mythes anciens pour les réduire en de petits moyens d’intrigues, nous pourrions revêtir l’habit d’archéologue pour libérer ces mythes et leur refonder une fonction au regard d’hier et d’aujourd’hui.
 
            Voilà en quelques mots : les quelques pistes thématiques qui m’intéressent dans cet objet (produit ?). J’avoue, dans mes premières recherches, avoir été étonné de l’ampleur du phénomène et je n'ai pas eu de peine à trouver les "points d’accroches" pour entrer dans la matière (qui est à proprement parler informe en son état brut). Il m' a semblé notamment qu’il y avait  davantage à chercher du côté des familles oligarchiques romaines que du côté des grecs (même si l’Orestie plane dans cette famille aux membres affamés et parricides).
 
De manière pratique, la pièce existe.
C’est une narration qui, à l’image de Dallas, trouve autant son inspiration dans les personnages de la série que dans d’autres objets culturels, allant de Shakespeare à Tchékhov, en passant par Le parrain de Coppola ou l'Orestie même, puisant sa source aussi bien dans la tragédie que dans le vaudeville…
Cette matière a servi de matrice mais elle n'a pas été le sujet exhaustif du travail ; j'ai construit avec les acteurs qui ont eux aussi pris part à l'écriture en un sens. Les rencontres, débats, ce blog... tout cela a enrichi le propos et il en reste quelque-chose dans l'objet que nous vous montrerons.

Le projet réuni 5 comédiens parmi lesquels deux comédiens de la compagnie (Guillaume Clausse et Elisa Voisin), Tonin Palazzotto (qui jouait dans le spectacle précédent), et Roxane Cleyet-Merle .
Pour le rôle de JR, j’ai fait appel à un comédien plus âgé, Olivier Maltinti, expérience nouvelle qui trouve sa cohérence pour les raisons expliquées plus haut.
Olivier est aussi chanteur de son groupe Oliver Night & la Band(e) et son expérience de musicien est mis à contribution dans le spectacle .
Yann Loric continue de nous suivre à la technique. Jean Bourgeois nous a rejoint au son. Kevin Keiss m'a assisté en 2008, avant de rejoindre l'école de mise en scène du TNS de Strasbourg.
 
Nous sommes donc une équipe  constituée de huit à neuf personnes.
 
Nous sommes déjà associés à plusieurs lieux qui nous soutiennent: le théâtre des Bernardines qui suit notre travail depuis son début, le 3bisF, à Aix en Provence, où nous avons proposé une maquette en juin 2008 ; c’est là que nous avons débuté le travail – ce qui nous a permis de bénéficier du cadre particulier qu’offre cet endroit (notamment à travers les interactions possibles avec les patients), enfin le théâtre Gyptis qui nous accueille pour la création du 20 au 24 janvier 2009, et le Mac Nab à Vierzon qui nous co-produit également; nous jouerons chez lui le 15 ocobre.
 
L’écriture se constitue au fil de ces étapes par un travail de plateau et une réflexion partagée, chacun prenant part au chantier et au propos.
 
Je souhaite que ce projet puisse trouver envers les gens que je sollicite : de véritables collaborateurs ; y compris dans le débat qu’il soulève.
   
 


  • Extrait
 
LE CHŒUR. – Hoooo Victimes et Héros de ces corps ambigus !
De quelle marque ce soleil, qui suivant l’heure le jour, au gré de son humeur, me fait naître géant puis me change en pygmée ?
La soustraction sans nom que de devoir subir, et sans rien y gagner, la course des solstices !
Sombre héros que je suis…
Chaque année fait naître une nouvelle bougie ; les autres fondent et rapetissent.
Dehors, on ne fait que compter.
Venez vous éloigner un temps de l’heure de l’addition.
Venez vous réfugier ici bien à l’abris des comptes –
Et du soleil.
 
Nous sommes à Southforth, sur les terres de Dallas, patrie chère de pétrole.
Jailli comme une ville au centre d’un désert, se dresse impitoyable le ranch de Southfork.
C’est la demeure Ewing.
Bien fondée sur sa mise, enfoncée dans la naphte, elle se campe au passé comme un pionnier à sa pioche.
Passiflore affamée, de ses racines foreuses, elle perce les cailloux, impitoyable, pousse.
Insatiable maison.
Jaillie comme une ville sur le coin d’un désert, se nappe de dollars sous le ciel du pétrole.
Elle qui fut jadis cette graine infortune, la voici devenue riche – encline à la bouture.
 
Justement :
Il est aujourd’hui temps de pratiquer la greffe.
Opération « main verte ».
Très haute précaution…
Il faut surtout savoir en cette occasion : adroitement barder le scion de la vermine !
Un greffon malheureux, c’est l’arbre entier qui meurt !
Pré-cautions encore.
L’ennemi a tôt fait de déjouer l’écorce, de s’introduire en douce, d’infecter les nervures…
On se souviendra tantôt de boutures innommables toutes injectées de fiel… Je n’en dirais pas plus ; des bœuf se sont soudain affalés sur mes langues…
 
Mais point de parasites en ce jour qui s’apprête – le futur n’est nullement un de ces zig à craindre !
On célèbre ici bientôt un luxurieux hymen.
L’ente : un excellent partie – bourgeon vivace – nature fougueuse. Avorton d’une famille au digne blason – texan de souche – germé sainement – de ceux dont le simple toucher transmue l’or noir en vert.
Kit Mainwaring.
La souche ? Lucy Ewing, dernière du nom, bulbe parmi les bulbe.
C’est en son corps que s’adjoindront, à l’heure de la féconde pyrolyse, les sèves des deux branches.
 
Le ranch est en ébullition – l’humeur fourmille.
Chacun donne la patte pour les préparatifs – personne ne chôme… Les domestiques s’agitent au quatre coins du ranch et hardiment préparent la réception privée qui aura lieu ce soir.(…)
 
En 2008, nous fêtons les 40 ans de mai 68 (autre mythe) et les 30 ans de Dallas avec les miens… Plus qu’une commémoration, j’aimerais profiter de l’anniversaire pour faire voler le sucre glace et voir la facture du gâteau.
Je vous invite.
 
Charles-Eric PETIT 

(Photos: copyright Philippe Malone.)

Publié dans Notre Dallas

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A
<br /> Blogs are so informative where we get lots of information on any topic. Nice job keep it up!!<br /> <br /> <br />
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A
bonjour.nous sommes eleves du lycée frederic mistral.nous avons rencontré la compagnie "l'individue"avec notre option theatre.nous avons beaucoup aimé votre fillage representé a la chartreuse et nous aimerions en voir plus.on vous souhaite une bonne continuation pour la suite et esperons avoir de vos nouvelles.
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