« Notre Dallas », CARNET DE BORD DE LA SEMAINE AU 3BISF

Publié le par L'individu

           C’est chargé d’envie et d’interrogations variées que le groupe de « Notre Dallas » se rend au 3bisf, lieu d’art contemporain situé à l’intérieur de l’hôpital psychiatrique Montperrin à Aix en Provence, qui nous accueille durant une semaine afin de mener à bien les répétitions d’une part, et les ateliers quotidiens d’autre part.

            Le soleil de janvier et les questions se confondent de même que l’impatience et la nervosité : comment engager le travail ? Quelles sont les personnes que nous allons rencontrer ? Parviendrons-nous à assurer un atelier, de trois heures quotidiennes, de façon satisfaisante ?

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        Après une brève visite des lieux, nous est présentée l’équipe pluridisciplinaire ayant en charge la venue et l’encadrement d’une troupe de théâtre en les murs. « Il ne s’agit aucunement d’art thérapie souligne Claude, éducatrice spécialisée, il n’y a donc pas de rapport soignant/soigné, les patients ne sont pas tenus à des obligations : viendront à votre atelier ceux qui le souhaitent ». L’atelier en question débute l’après-midi même. Juste le temps pour nous d’installer le matériel musical dont nous aurons besoin afin de créer le « Dallas band »: batterie, guitares, micros traditionnels et micros qui déforment la voix.

Découverte de la cantine de l’hôpital.

           




Pour la semaine qui s’annonce l’enjeu est double rappelle Charles-Eric : faire travailler l’équipe nouvellement constituée de « Notre Dallas » afin de poser les premiers jalons de la création à venir, tout en incluant l’atelier théâtral dans le travail même, autour des thèmes de la pièce que nous montons.




SEANCE 1

           
          Cette toute première séance s’ouvre par une discussion que nous initions. Pourquoi Dallas ? Que cela évoque-t-il en chacun ?

            Dès l’abord, nous constatons que la dizaine de personne réunie, réagit avec passion à la mention de la série Dallas. Ceux qui n’aiment pas naturellement, ceux qui adorent. Et plus étonnant, ceux qui ne connaissent pas mais dont l’imaginaire contient pourtant de référents explicites à la série.

Charles-Eric d’expliquer la généalogie complexe de la famille Ewing.

Les réactions fusent :

CELIA : On en parle beaucoup dans la famille ; rien qu’avec la musique on a envie de chanter.

BEATRICE : Ma mère regardait tout le temps mais elle avait presque honte parce que je lui disais « comment tu peux regarder ça ? ». Dallas avant c’était mal maintenant Télérama dit que c’est une bonne série, preuve qu’on doit pas se fier à Télérama.

CHARLES : Derrick c’est mieux, il a une BMW.

CHARLOTTE : Moi, je me souviens surtout du mariage de Bobby et Pamela et du moment où ils ont eu Christopher, leur fils.


Rapidement et grâce aux souvenirs collectifs exprimés, sont tracés à gros traits les portraits des protagonistes de Dallas :

Lucy = la petite peste au mariage raté, fille du fils raté.

Bobby = le beau, gentil.

J-R= le méchant au chapeau

Sue Ellen= l’alcoolique

Pamela= l’étrangère gentille


Le reste de la séance se déroulera de la façon suivante : Guillaume prendra en charge un échauffement préalable au travail dirigé par Charles-Eric.

Selon un tableau savamment concocté, chacun d’entre nous reçoit un rôle dans la série en fonction de son signe astrologique.

Des feuillets contenant des slogans publicitaires ou des dialogues de la série Dallas sont distribués.


EXERCICES :

proposer trois gestes pour représenter un héros de son choix.

Apprentissage de trois gestes précis, chaque geste reçoit un nom : double jeu, connivence, défi.

En ronde, communication, élaboration d’un dialogue simplement avec les gestes susnommés

Adjonction d’une phrase d’un poème appris lors de l’échange gestuel

histoire d’un objet : chacun ayant amené un objet de son quotidien, nous procédons, deux à deux, à un échange. L’un raconte l’histoire de l’objet de l’autre comme s’il s’agissait du sien.

Sont dits les slogans publicitaires par groupe de deux. L’un des gestes appris, le plus approprié doit être exécuté en même temps que le slogan est prononcé.


Charles-Eric précise, et nous le redirons toute la semaine, qu’existe une petite estrade et un micro où à tout moment si l’on y monte, on peut interrompre l’atelier pour chanter une chanson.




SEANCE 2

            Rassurés par la séance de la veille, incroyablement riche, nous sommes davantage détendus. Le groupe du mardi n’est pas rigoureusement identique, certains nous ont prévenu de leur absence et nous décidons d’entreprendre la discussion introductive de la veille dans la cour qui fait face à la salle afin de profiter du soleil.

De nouveau, la question de Dallas ne laissent personne indifférent.

JEAN-ALAIN : J’ai regardé Dallas quand ça passait pour avoir un avis et je trouve que la glorification du rêve américain c’est malhonnête. Je me rappelle de Bobby : Bobby, c’est l’homme dauphin, c’est un crétin ; attention, faut aussi se méfier de J-R, sous son chapeau, il est très fourbe.

CHARLOTTE : Moi, j’ai regardé tout le temps jusqu’au bout...

LUCILLE : Dallas, moi, je déteste, mais bon, comme on travaille dessus j’aimerais bien aller voir « ton univers impitoyaaaable ! »

CELIA : Je me souviens surtout des rôles. Je ne me rendais pas compte que le monde pouvait être si violent dans les mots, c’est Dallas, c’est un tout, ça m’a fait prendre conscience des réalités. Mais quelqu’un qui gagne peu peut aussi être heureux.

CLAUDE : Je ne connais rien du tout eu théâtre ni à Dallas, mais je suis intéressée par le projet : pourquoi et comment est-on happé par le phénomène ?

TONIN : Je ne sais plus si j’ai vu la série ou si je me suis inventé des souvenirs quand j’étais chez mes grands-parents et qu’ils regardaient la télé.

MANU : Quand j’étais petit, j’étais fanatique de Dallas. Le premier épisode est passé en France le samedi 24 janvier 1981. Un autre épisode important : « Qui a tiré sur J-R ? ». Maintenant je trouve que voir mille fois le même épisode c’est lassant.



ECHAUFFEMENT

EXERCICES :

trois gestes d’actrices des années 50 pour les filles, trois gestes de cow-boys pour les garçons

 on passe un par un, puis toutes les filles ensemble, idem pour les garçons, puis passage mixte

Jeu avec les gestes appris la veille, Madalina propose de les dévoyer

Chacun raconte où et quand il prit connaissance des évènements du 11 sept 2001




SEANCE 3



LUCILLE (est J.R), elle se métamorphose et prend une position assurée :

Tout s’achète donc tout se vend. Combien ? Ca dépend du prix qu’on met.

 J’enlève jamais mon chapeau même pour dormir.

J’ai sorti un bouquin « Comment devenir milliardaire en 56 leçons ? », c’est sorti chez Dallas Provence.












linda-gray.jpgBEATRICE (est Sue Ellen), elle s’évente frénétiquement le visage avec un journal qu’elle tient comme un éventail. Jambes croisées :

Ce que j’aime dans la vie, c’est la vie justement.

La vie en rose, c’est simple, ça me trottine dans la tête.

C’est pas facile d’habiter Dallas, c’est aride et sec.

J’aimerais vivre dans une utopie.

Avez-vous déjà eu la vie en rose ? En fermant les yeux.

Nous demandons à Béatrice de quelle manière elle a procédé pour demeurer crédible et cohérente : « C’est un stéréotype, une mosaïque de bouts de merde que j’ai faite, c’est comme dans la vie, on fait semblant, faut rester cohérent sinon on se fait enfermer. »






MADALINA qui joue le rôle de Pamela répond aux questions sous le masque de son personnage. Elle fait montre de froideur et d’une volonté de se faire aimer en dirigeant diverses associations caritatives à Dallas.

Bobby est un homme magnifique qui assume ses responsabilités, il lui arrive même de prendre du temps pour sa famille ce qui est rare pour les pétroliers

Les trois qualités d’un homme doivent être la force, la générosité et la responsabilité ; il doit également se montrer tendre et attentionné.

Une femme quant à elle doit être une bonne épouse, une bonne mère, c’est à dire être à l’écoute de sa famille, se donner entièrement à elle quand elle en a besoin.






OLIVIER et CHARLES, se mettent tout à tour dans la peau de Ray. Si Olivier, très crédible, prend l’accent populaire et nonchalant d’un garçon de ferme « oui, m’dame » Charles devient un régisseur du domaine avisé.

La famille Ewing, c’est une famille dans laquelle y’a toujours des histoires, d’argent, de jalousie, etc. Ils ont un côté m’as-tu-vu.

En tant que régisseur du ranch faut tout le temps être là parce qu’il peut tout le temps y avoir des problèmes.

Ce qui intéresse les employés bien souvent c’est d’aller faire les cons, alors c’est normal de les virer.

J’ai une vingtaine de personnes sous mes ordres sans compter les saisonniers.

Pour les gens comme nous, on peut pas se dire  « ah ! C’est le dimanche, alors on fout rien », je suis toujours à disposition.

Ce qui m’intéresse c’est de dépendre de personne, c’est bien d’être son propre patron, y’en a qui naissent patrons, d’autres employés, c’est un peu ça la vie.

Quand j’étais petit garçon je rêvais de faire un travail en rapport avec la nature.

Je suis un cow boy, j’ai un cheval qui s’appelle Pégase.

Y’a du bruit et des voitures, j’aime pas aller à Dallas.

Je suis pas marié, j’ai pas d’enfants : je suis avec mes animaux, c’est moins compliqué que leur famille, dans le ranch.

Croyez-vous en la réincarnation ? La vache, moi j’en sais rien.

JEAN-ALAIN (en J.R) :

Tous ces termes moraux, moi j’m’assois d’ssus.

Moi, j’suis dans la religion du plus fort, et en ce moment le plus fort c’est moi !

On pense que j’suis égoïste alors que j’suis, c’est c’que j’pense, vachement généreux. Vous connaissez l’histoire de l’enfant à qui on demande s’il connaît la définition d’un égoïste, il répond « oui, un égoïste c’est quelqu’un qui pense pas à moi ! »

J’ai une clef qui ouvre un coffre fort qui contient de l’argent pour les hommes, des bijoux pour les femmes et des sucettes en or pour les enfants.

 


SEANCE 4 :


            Le groupe participant à l’atelier est à présent constitué et relativement stable. A chaque début de séance, installés en cercle, après l’échauffement proposé par Guillaume, chacun fait le récit d’un exercice des jours précédents à destination des nouveaux venus.


EXERCICES :


Kevin prend en charge un exercice d’improvisation « rois et reines ». Il s’agit d’incarner silencieusement un roi victorieux revenant de dix ans de campagne pour annoncer la victoire à son peuple ou une vieille reine noble mais fatiguée qui arrive jusqu’à son trône pour s’entretenir avec ses conseillers.

Dans un second temps, toujours dans la peau d’un roi ou d’une reine, nous procédons au jeu de l’interview.

Lecture d’une scène transcrite de la série Dallas « dans la paille »



SEANCE 5


            C’est la dernière séance. Olivier dirige les échauffements, proposant différents exercices : tourner autour du cercle préalablement formé et regarder la nuque de chacun, puis se positionner silencieusement quelques instants à côté de la personne de son chois juste afin de sentir sa présence avant de retourner à sa place. Choisissant certaines phrases de Dallas « Sue Ellen à encore bu, c’est ça ? » et suivant les procédure du téléphone arabe, nous faisons circuler cette phrase, nous la passant les uns les autres sur des intentions différentes.



EXERCICES


A partir du texte de Dallas , ont lieu des scènes qui seront commentées par une sorte de choeur au micro, voix déformées et voix chuchotées.....

Etc.

Madalina propose un exercice de rires avant de se quitter



CONCLUSION


            Pour nous, l’équipe de « Notre Dallas », le bilan que nous tirons de cette incroyable semaine est extrêmement positif. Les ateliers du 3bisF ont permis de fédérer le groupe très rapidement ainsi que de mettre en relief les lignes de force du projet, ses intentions et ses enjeux.

Nous avons constaté que la série Dallas, apparaissait à de maints égards comme un écran catalysant une mémoire collective et individuelle. Loin de se fonder sur la série, ce sont les fantasmes et les projections, les souvenirs et les envies des gens qui nous sont révélés. C’est un vecteur d’humanité et de parole éminemment fécond dans lequel on retrouve toute la subtilité et la complexité des rapports à l’Autre qui oppose un démenti magistral aux tentatives réductrices de notre quotidien.

Déplacer le curseur culturel en parlant de Dallas permet de trouver la culture là où on la croyait ou pouvait la croire inexistante.

Aussi, nous éprouvons au travers de cette semaine, que se servir d’un substrat d’imaginaire collectif s’avère jouissif. Le théâtre n’est pas celui des seuls intellectuels et des institutions, c’est le populaire qui s’est emparé de la série, ou l’inverse, peu importe d’ailleurs, avec une telle prégnance qu’on en mesure, aujourd’hui encore, l’intensité et la teneur émotionnelle en charge.

Dallas : de la commémoration à la remémoration intime et commune, fonctionne comme une amulette aux souvenirs, une madeleine de Proust car notre propos interroge la Télé du côté de ceux qui la vive, c’est à dire qui vivent avec. Souvenirs partagés avec les grands parents, échanges et/ou effusions familiales autour d’une série qui assemble, rassemble, les discussions passionnées souvent entre ceux qui aiment et ceux qui détestent.

En bref, nous avons travaillé sur cet outil de mémoire si incroyablement neuf et pourtant vieux, assimilé déjà, qu’est la télévision et l’impact du télévisuel dans l’édification d’une mémoire collective, apprenant et découvrant les gens à travers le prisme changeant de Dallas, de Notre Dallas en maturation, questionnant ainsi notre pratique et notre pensée artistique.



Rédaction : Kevin Keiss



Publié dans Compte rendu 3bisf

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